C'était beau dans le courant de la passe, au sud de Direction Island, entre ce "motu" et celui qu'on appelle, mais pourquoi donc, Prison Island, si beau avec son bouquet de cocotiers. Pas de requins, mais des gros poissons en grand nombre : des petits de toutes les couleurs, des gros plus sobres, les uns en bandes, les autres seuls. Sur le corail, ces jaunes, ces bleus électriques, ces rouges vifs, ces mauves : que la nature est belle ! Et puis c'est agréable de se laisser porter par le courant...
Lundi je prends le ferry pour West Island. On traverse le lagon (six milles) ; on est attendu par un petit bus qui roule sur une route
goudronnée bordée de gazon entre les cocotiers. Des maisons d'un gris uniforme, un peu austères, mais vastes
et propres, entourées de leur terrain avec clôture qui enferme aussi une automobile : c'est ici que vivent les fonctionnaires
australiens blancs dans un univers étrange, aseptisé, presque désert, face aux vagues qui déferlent sur
la plage à l'ouest. Il y a le centre administratif et commercial, avec le petit supermarket, la boutique duty free qui n'a rien
à vendre ou presque, le bureau d'Australia Post, la radio "Voice of Cocos", une laverie, et même un café
où l'équipage de RIO sirote une bière. Et puis l'aéroport international qui occupe une bonne partie du "motu"
Avec l'annexe, nous allons à Home Island, l'île à la population indonésienne et musulmane. Les constructions sont à peu près
les mêmes que sur West Island, mais il n'y a pas de clôtures, les rues ne sont pas revêtues et on circule en quads. Avec
l'équipage de Saranaïa II je visite le petit musée qui présente surtout des bateaux. c'est tout juste un peu
plus vivant. On rentre au mouillage de Direction Island
(Mardi) Ligne de départ à 8h ce matin pour MAVERICK, BLUE MAGIC, HYDRO, RIO, KELA, SPIRIT OF SHAMBROCK, SUSIE Q3, FILO III et Saranaïa II. Bonne brise d'est. Tout le monde envie le spi, Saranaïa II comme les autres. Jean-Etienne, qui n'a pas pu attendre SNOOTY FOX et la lettre de Françoise, n'est pas le moins actif. Et floc ! une belle déchirure dans la bande jaune. Je revois la scène dans le Pacifique avec Loïc. Encore une fois, c'est sans doute un pontet en partie décousu dans la chaussette qui a pincé la voile. On amène le spi, on renvoie le génois et on se met au travail pour la réparation. On colle le spi, on découd la chaussette pour recoudre le pontet. Cent soixante mètres carrés de tissu étalés sur le pont, dans le cockpit et sur la table du carré. Au bout de trois heures, on renvoie... avec une demi-croix gammée, dit Pierre. C'est d'un goût ! Avec tout ça, nous nous retrouvons en dernière position, mais dans l'après-midi et la soirée nous remontons successivement FILO III, SUSIE Q3 et SPIRIT OF SHAMROCK
Nuit sous spi
Au matin, au call de 11.30, nous avons parcouru 194 milles (7 nœuds)
Mercredi huit heures et demie. Jean est sur le pont. On entend un claquement un peu sourd... Le spi ! Voilà longtemps qu'on n'avait pas entendu la cantate en braille majeur pour le réveil de l'équipage ; il y va dans les aigus et fortissimo not'Captain'. Ben oui ! Le spi est dans l'eau, il chalute mais ça ne prend pas de poissons. Quelque chose a cassé en haut du mât, probablement la manille qui tient la poulie de la drisse... On verra plus tard car le Capitaine continue la cantate ; on en est au moderato, ma vivace... Ah !, me dis-je, si j'étais monté vérifier la tête de mât avant le départ, on aurait peut-être évité. Le spi est déchiré le long du guindant rouge, assez longuement, et nous n'avons plus assez de tissu collant pour réparer comme hier. Et puis c'est trop près du bord. Nous n'avons plus de spi jusqu'à l'île Maurice. Dommage. On a récupéré la voile qui sèche sur le pont. On a retangonné le génois partiellement roulé, et on continue. Mais l'enthousiasme est un peu tombé, en tout cas pour Jean-Etienne et moi. Cette étape, assez longue, ne commence pas très bien
Malgré la perte du spi, nous annonçons 172 milles en 24h car dans la nuit la brise a fraîchi. On croise un chalutier en pêche
Le lendemain le vent fraîchit encore : 180 milles au call de vendredi. La lune est maintenant à son premier quartier. Peu avant minuit, elle descend devant nous à l'ouest. Saranaïa II bondit de crête en crête ; lorsqu'il appuie au bâbord, la lune masquée derrière les voiles vient moirer la surface de la mer sous la bôme. C'est un moment magique, d'une beauté irréelle, que je n'oublierai pas. C'est pour des instants comme celui-ci que je vais sur l'océan. Ceux qui ne les ont pas connus ne pourront pas les imaginer. On voudrait les faire partager, mais c'est impossible...
Samedi et dimanche le vent tient : 177 milles, 173 milles. La déclinaison magnétique, qui était nulle lorsque nous passions l'île Christmas, augmente très vite : 4,5,6,8,11,13 ° ouest. On frôlera les 20° vers les îles Maurice et La Réunion. Car nous nous arrêterons à La Réunion, ça s'est décidé un soir dans le carré. L'organisation du rallye a été modifié : on évite (l'archipel des) Chagos mais on doit passer le temps gagné à l'île Maurice, ce qui fera une trop longue escale. Alors Saranaïa II décide de faire, après le détour à Bali, une deuxième entorse au rallye : nous ne resterons qu'une semaine à l'île Maurice, puis nous irons à La Réunion. Et nous enchaînerons sur une troisième entorse : nous quitterons Richard's Bay avant les autres pour rejoindre plus vite LE CAP... Depuis l'Australie, nous sommes sur le chemin du retour. Chacun prend son chemin des écoliers et il ne sont plus que quatre ou cinq bateaux à faire la course. Nous sommes allés à Bali, hors programme organisé par World Cruising ; certains se sont arrêtés à Chritmas Island, sept bateaux ont décidé de rentrer par la Mer Rouge, la Thaïlande pour quelques uns, les autres s'égayent un peu mais la plupart devrait se retrouver au CAP pour la deuxième traversée de l'Atlantique
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Mercredi matin peu après quatre heures et demie, je regarde blanchir le ciel à l'est pendant que la lune presque pleine se couche à l'ouest, devant le navire. Cette fois-ci j'ai sorti sérieusement le sextant, les tables HO 249, les éphémérides du "marin breton", et j'entraîne Jean-Etienne au point astro. C'est qu'avec le G.P.S., système du positionnement global par satellites, on ne fait pas de navigation à bord. Jean passe son temps devant l'écran du GPS que nous avons baptisé Sa TV ; alors, puisqu'en plus le ciel est bleu, la mer est plate et Saranaïa II presque immobile, c'est le moment de s'entraîner au point astro. Pour la méridienne, ça marche tout de suite et Jean nous dit : ça fait plaisir de vérifier que le GPS fonctionne. Pour le point complet, nous avons encore des difficultés avec la droite de hauteur de l'après-midi. Si on ne trouve pas la solution, il faudra que j'écrive à Daniel GERLIC !
Ce soir vendredi 17 octobre nous avons remis le moteur à 17.30. Toute la flotte est encalminée, les bateaux de tête davantage que ceux de l'arrière. Pourtant MAVERICK et PIPE DREAM IX annoncent leur arrivée prochaine. Sur Saranaïa II les vivres frais s'épuisent et les repas vont être à base de pâtes et de riz
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Samedi soir le vent est revenu assez brusquement, en même temps que de gros nuages, et naturellement le premier grain a été pour moi vers neuf heures. On s'est fait un peu secouer pendant deux jours sous un ciel toujours menaçant, mais le speedo nous rassérénait qui ne descendait pas en dessus de huit nœuds : 141 milles seulement samedi, 153 milles le dimanche, puis 185 milles le lundi et 193 milles le mardi. Mais une fois de plus, comme à Funchal (Madère), comme à Las Palmas (Canaries), à Colon (Panama), à Salinas (Equateur), à Atuona (Marquises), à Papeete (Tahiti), à Suva (Fidji), à Cairus (Australie), et aux îles Cocos Keeling, ... c'est de nuit que SARANAÏA II entrera à PORT LOUIS. Nous aurons vu dans l'après-midi l'île Ronde et l'île des Serpents qui débordent Maurice au Nord et que nous atteindrons à la nuit tombée. Nous apercevrons l'ombre de l'île Plate et du Coin de Mire, pour foncer sous bonne brise pointue vers les lumières de la capitale
Ligne d'arrivée à 23.55, accostage à 0.30 mercredi
Accueil bon enfant du policier de service qui répond "bonjour messieurs" au "good morning" que Jean adresse par habitude. Le CAUDAN, c'est un vrai centre commercial tout neuf dans une fausse marina pas terminée. Avec Jean-Etienne, nous faisons de nuit un premier tour de repérage qui nous amène tout droit... au poste de police, seule "boutique" éclairée à une heure du matin. Le policier, toujours accueillant, nous reconnaît et nous accompagne : distributeur de billets, téléphone... Il est deux heures du matin, le Waterfront n'est pas PORT LOUIS et pour nous qui avons l'habitude de nous coucher à neuf heures le soir, en mer, il est temps d'aller dormir
Lorsqu'on dépasse le Waterfront, qui serait un endroit tranquille si on n'y battait pas les palplanches dès sept heures du matin... et jusqu'au samedi après-midi, on débouche sur la freeway, voie rapide qui traverse l'île. Retour brutal à la civilisation automobile, avec ses bruits (ici le klaxon est roi), ses odeurs, ses encombrements. Lorsqu'on a réussi à traverser les deux chaussées en restant sain et sauf, un passage souterrain pour les piétons est en construction, et on accède à la ville proprement dite. La ville ? non, LES villes, plutôt ! Ce que l'on voit de loin, ce sont les buildings insolents du quartier des banques et des assurances. On découvre les constructions en basalte de l'époque française, puis les quartiers hindous avec leurs rues où se rassemblent les corporations : la rue des quincailliers, la rue des restaurants asiatiques. On peut tout trouver à PORT-LOUIS, il suffit de chercher la bonne rue... La population apparaît très méridionale, presque latine. Ce n'est plus la froideur australienne, et si la religion est très présente, je la ressens moins oppressante qu'à Bali. Bref, j'aime l'Île Maurice
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Nos bateaux font rêver. Sur le Waterfront c'est chaque soir la promenade des Mauriciens. Un journal local a publié un article assez malheureux où il est essentiellement question du prix des bateaux et de leur luxe. Sur SARANAÏA II on est tranquille par rapport à cela, mais il y avait sans doute mieux à faire. Hier soir quand je suis rentré il y avait toute une famille devant l'étrave. Nous avons parlé un moment du Tour du Monde, de la vie à bord. J'ai invité les deux adolescents à revenir de jour pour voir le bateau
Samedi c'était un Mauricien d'origine pakistanaise, Mahmode, que j'ai fait monter à bord. il a beaucoup regardé, il a posé des questions, puis il nous a expliqué qu'il travaille dans une entreprise qui fabrique des bracelets de montre et qu'il gagne 6500 roupies mauriciennes par mois, soit un peu plus de 1800 francs. Dans ces moments là, je ne sais plus que dire
Encore trois jours ici, puis nous prendrons la route de l'Île de La Réunion...
J'avais bouclé mon journal de voyage lundi 27 octobre Dans l'après-midi, j'étais resté au bateau pour pouvoir joindre RADIO PLURIEL. Impossible. Le numéro à l'école Jules Verne ne répondait pas. J'apprendrai plus tard que la capitainerie (?) serait venue au bateau à l'heure de l'émission pour me prévenir qu'il fallait appeler le lycée Flesselles et me donner le numéro. Il n'y avait plus personne à bord. Après avoir attendu dix minutes et avoir recomposé le numéro, j'étais allé, un peu déboussolé, vite prendre un café au Sunset, ou peut-être plutôt une bière avec Pierre et Uta, à moins que ce ne soit réellement un café avec l'équipe de grimpeurs de Jean-Etienne ?
Le soir, Michel DOUACHE et sa femme Rolande venaient visiter Saranaïa II. Et tout à coup, Michel interroge : "... et si je demandais à embarquer avec vous jusqu'à la Réunion ?" - "Bonne idée, une navigation courte et probablement tranquille, c'est idéal pour faire un essai, d'autant que nous ne sommes que quatre à bord, il y a de la place." Rolande l'encourage. On se retrouve tous au bar de l'hôtel Labourdonnais. Mireille, ancien maître de port à La Grande Motte, est là avec les autres et ceux de RIO : elle aussi embarque avec nous. Nous serons six, et même sept avec Jacques qui est allé en reconnaissance à Madagascar... Ce soir, Michel et Rolande m'invitent à dîner en ville "Au Chinois", restaurant fréquenté par les Chinois de PORT-LOUIS : soupe au crabe, canard grillé aux légumes, ...
Mardi matin Jean-Etienne me réveille de bonne heure : nous sommes sept pour l'ascension du Pouce, un "pic" de 800m au dessus de PORT LOUIS. Un minibus nous conduit à MOKA, au bout de la route goudronnée. Une heure et demie après avoir quitté le port, nous sommes au sommet que l'on atteint par un sentier, sauf quelques mètres un peu plus difficiles. Belle vue sur presque toute l'île. Il y a là Pierre (ATLANTIS), Michel (OCEANOS), Miguel (BES PORTUGAL), Celeste et Raymond (RIO), Jean-Etienne et moi (Saranaïa II). On redescend par les Pailles, jusqu'à la ville, jusqu'aux bateaux. Jean-Etienne parle d'escalade à La Réunion
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Mercredi matin avec Pierre, je prends le car pour GRAND GAUBE. Michel et Rolande nous reçoivent dans leur "campement" : c'est ainsi qu'on appelle ici les maisons en bord d'océan. Vue magnifique sur le lagon turquoise, sur le Coin de Mire et les îlots qui débordent Maurice vers le Nord. Un agréable courant d'air rafraîchit la terrasse où la table est dressée : nappe et serviettes, vaisselle de qualité, fauteuils confortables, toutes choses dont nous avons un peu perdu l'habitude. Punch maison avec jambon d'Espagne, olives fourrées et petits oignons à "l'aji uo moto" ; foie gras arrosé d'un Bordeaux mœlleux, filet de bœuf au poivre avec rousties, accompagnés d'un Bourgogne rouge, fromage français et vrai café...
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Le soir, j'accompagne encore Michel et Rolande à GRAND BAIE : nous allons déguster une langouste grillée à "La Bonne Marmite", un restaurant créole sympathique, malheureusement inscrit depuis peu au Guide du Routard, ce qui fait qu'une clientèle "Routard" tend à chasser la clientèle locale
Jeudi c'est Dirali, la fête des lumières pour les Hindous. Jour férié où tout est fermé. Le soir, de petites lumières s'allument partout, sur les maisons, dans les arbres et les bosquets... C'est un peu le "8 décembre à Lyon", mais ici la ferveur religieuse reste plus vivante
Et Vendredi après avoir attendu douaniers et service de l'immigration tout le matin, nous allons
à eux. Les douaniers sont très occupés à une partie de dominos. Malgré tout l'un d'eux se lève
et vient remplir nos papiers
À midi et demi, nous partons, presque à l'heure prévue, avec nos deux équipiers
occasionnels : Mireille, professionnelle de la voile qui examine tout sur le pont et à la table à cartes, et Michel
qui découvre. Hélas pour lui, le vent fraîchit vite : on prend un ris, on roule le génois qu'on remplace
par le foc inter, on prend le second ris à la tombée de la nuit, mais Michel a déjà rejoint sa couchette.
Avec plus de vingt-cinq nœuds de vent au portant, SARANAÏA II va très vite : à quatre heures du matin, je prends
mon quart devant les lumières de SAINT-DENIS. Heureusement, l'île nous dévente, sinon nous arrivions avant le
jour. Il faudra même mettre le moteur pour contourner la pointe des galets. Nous entrons dans PORT RÉUNION peu avant
sept heures du matin. Michel, qui était sorti un moment devant SAINT-DENIS, est à nouveau sur le pont. Quant à
Mireille, cette nuit elle a "inspecté" tous les quarts !
C'est la Toussaint à La Réunion comme en métropole : jour férié, jour fermé
Demain c'est Dimanche ; notre port est très à l'écart. Michel nous quitte au début d'après-midi.
(...)
Mireille reste avec nous jusqu'au dimanche matin où un ami vient la chercher. Il ne s'en faut que d'une petite Alizé et d'une promesse pour qu'elle ne continue pas avec nous. Jean-Etienne lui a bien vanté les charmes de notre aventure le dernier soir. Philippe et Marie-Françoise, amis de Jocelyne Berthelot, viennent prendre l'apéritif dimanche à midi, et nous invitent pour vendredi. L'après-midi, Jean et Jean-Etienne règlent le ridoir de l'enrouleur, Pierre s'est réfugié au bar, moi je mets mes notes à jour
Lundi nous découvrons que c'est ici la pleine saison touristique : pas si facile de louer une voiture, il faut faire au moins quatre agences ; quant aux refuges de montagne, ils sont complets toute la semaine, il faut réserver des mois à l'avance
(...)
On descend dans le cratère par un escalier de 500 marches. Le sommet du Piton de la Fommaire, le cratère Bory, est en face de nous. Derrière, les pentes du cratère ancien, le grand cratère, ont été recouvertes par la végétation et l'escalier se trouve souvent à l'ombre des tamarins. Dans le fond du cratère genêts et bruyères ont commencé la colonisation, mais très vite l'environnement devient minéral. À notre droite un cratère de terres colorées (formicales) semble avoir été apporté par le camion d'un paysagiste. Le Piton nous montre ses différentes sortes de laves : laves cordées, tunnels de laves, orgues basaltiques dans la chapelle (de Rosemont). Les tunnels me font penser à des installations abandonnées d'adduction d'eau ou d'assainissement. La piste est marquée à la peinture blanche sur les dalles, marques très rapprochées pour que les 200 000 visiteurs annuels ne se perdent pas lorsqu'ils se trouvent pris soudain dans les nuages ou dans le brouillard. Après la chapelle, on attaque réellement la montée : 400m de dénivelé. À 2300m, il y a une éternité que je ne suis pas monté aussi haut, à l'ombre nous trouvons du givre ! Au sommet, vers sept heures et demie, nous trouvons deux autres petits groupes. Nous sommes parmi les premiers. Derrière nous, sur la piste on n'aperçoit plus guère les marques blanches mais des fourmis qui deviendront des colonnes tout à l'heure. Au dessus de nous les hélicoptères et les avions commencent leur ronde. L'un des hélicos plonge et s'engouffre par une fracture là-bas vers l'Est, vers le cratère Dolomien, plus récent. Il nous montre le chemin. Photos, et nous dégageons par la droite pour faire le tour des cratères. Le Dolomien, le plus grand, est apparu vers 1930, un peu en contrebas du côté de la mer. C'est la partie la plus active du volcan, avec à ce jour trois points d'émissions de poussées. Il est déconseillé de descendre à l'intérieur car la croûte de lave est susceptible de s'effondrer : nous nous contenterons de regarder du bord ce paysage lunaire, le cratère Dolomien étant plein de cratères plus petits. Nous marchons dans un monde totalement minéral dans lequel je me sens totalement dépaysé. De tous côtés la mer de nuages remonte les vallées et les chaînons montagneux apparaissent comme autant d'îles. Du côté de l'océan, la vue s'étend sur ces vagues moutonneuses. Le Piton de la Fournaise possède aussi sa soufrière, côté Nord, isolée par une double clôture que nous ne franchirons pas davantage. Ce qu'on est prudent, tout de même ! On prend la descente où l'on croise la longue cohorte des attardés et des lève-tard qui attaquent la montée à neuf, dix, ou onze heures. Ceux d'aujourd'hui ont de la chance : les nuages restent dans les hautes vallées, ils verront quelque chose s'ils vont jusqu'en haut. Je retrouve la voiture avec plaisir et nous redescendons vers Bourg Murat, traversant l'étrange Plaine des Sables, désert sans vagues, sous la lumière verticale. Après un solide déjeuner à "La Bonne Grillade", où je me régale d'un... massalé de cabri, nous visitons le musée-maison du volcan, complément très pédagogique à notre randonnée. Puis je vais déposer Jean-Etienne au départ du sentier du Piton des Neiges, le plus haut sommet de l'île, à plus de 3000m. Il a décidé de bivouaquer : il ne sait pas que ce sera sous la pluie, pendant une bonne partie de la nuit, avec une température tout juste positive ! Mais c'est un solide ! Il atteindra le Piton des Neiges avec un retard de trois heures qui lui permettra de bénéficier d'une éclaircie, et il redescendra finalement sur Cilaos, le côté le plus sec sous le vent, tandis que j'irai l'attendre à Saint-Denis. Moi j'écoute en rentrant, branché sur RFO, le compte-rendu de la journée de la visite de Jean-Jacques Queyranne à La Réunion
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Tout l'équipage de Saranaïa II se retrouve pour monter en voiture jusqu'au pic Maïdo d'où la vue s'étend sur le cirque de Mafate. Vue magnifique sur le cirque que l'on n'atteint qu'à pied ou en hélicoptère. Il nous faudra revenir car les deux derniers jours nous retrouvons Philippe chez lui, puis Marie-Françoise et Philippe sur Saranaïa II : rougail de saucisse et poulet au soja contre bœuf bourguignon. on boit du (bon) vin français. Deux belles après-midi volées à la nature, mais tellement sympathiques. Encore deux amis que nous quittons avec regret, car le rallye a quitté (l'île) Maurice samedi à 14h ; nous partons pour être avec les premiers dimanche matin
Départ de PORT REUNION un peu avant sept heures. Ciel bleu, soleil, mais pas de vent. Moteur. Peut-être qu'en s'éloignant de la côte ? Non, c'est la route directe. Moi, je me sens fatigué, après deux jours d'excès de table et m'être couché à deux heures, cette nuit (téléphone et aller-retour à la poste), et lever à six heures !... Je me fais un petit déjeuner solide : œufs au lard, fromage... et je retourne me coucher. Je me rendors vers dix heures, jusqu'à une heure. J'ai si bien dormi que Jean fait la salade, je me lève juste pour déjeuner : je vais grossir, c'est sûr ! On stoppe le moteur l'après-midi pendant trois heures. On se traîne un peu à trente ou quarante degrés à gauche de la route
(...)
Nous ne reverrons pas de terre française avant la Martinique, dans plus de quatre mois
Jean-Etienne poursuit sa revue critique du bateau : aujourd'hui, c'est l'organisation des frigos ! Toujours pas de vent
Moteur Dimanche comme samedi, sauf 9 heures l'après-midi et le début de soirée pendant lesquelles on se traîne : trente milles en 9 heures !
Lundi ça s'améliore un peu
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À minuit, dans la nuit de lundi à mardi nous franchissons le TROPIQUE DU CAPRICORNE. Au bout de trois jours nous avons parcouru 420 milles, c'est peu malgré l'aide du moteur : 140 milles par jour en moyenne, moins de six nœuds
On s'ennuie un peu, surtout quand comme ce mercredi 12 novembre le ciel reste résolument gris. PIPE DREAM nous passe un peu avant midi ; quelle impression de vitesse lorsque l'ULDB (bateau à déplacement ultra léger) états-unien glisse sur notre tribord, Scott Piper à la barre. Séance de photos réciproque. Un équipier de PIPE DREAM veut même nous passer une canette de bière. Sur notre bord, les deux Jean mitraillent. Du coup, l'américain garde sa canette. On la boira peut-être à Richard's Bay dans quelques jours. C'est drôle, c'est émouvant, cette rencontre en plein océan après plus de trois jours de mer...
La nuit suivante pendant mon quart en pleine nuit, nuit claire et pleine lune, je redécouvre la Croix du Sud couchée bien au dessus de l'horizon. Décidément, on reprend de la vitesse. Le courant est favorable. On annonce 182 milles jeudi et 200 milles vendredi , tout près de notre record. Le record est même largement battu de deux heures à deux heures : 218 milles, soit 9,08 nœuds !
Vendredi après-midi le vent mollit à douze nœuds ; on renvoie le spi réparé
à l'île Maurice.
157 milles seulement samedi, mais à nouveau 189 milles dimanche
(...)
Vendredi soir il est un peu dépité quand Jean ordonne d'amener le spi avant la nuit. On tangonne le foc inter, mais on prend un nœud. Finalement, comme le vent monte à nouveau dans la nuit, on ne sera pas plus mal. Mais Jean n'aime pas le spi, il dit que ce n'est pas une voile de croisière... Et Kersauson, de quoi il vit ?, demande tout à coup Jean-Etienne qui vient de terminer "Tous les océans du monde". Parfois c'est moins naïf. Tabarly avait dit, alors qu'il était jeune : "ni femme ni enfant ni chien !" Dans "Mémoires du large" il pose successivement avec les trois. Je ne révélerai pas lequel a dit : un chien, c'est fidèle... ni qui a répondu : les femmes et les chiens, on leur met des colliers pour les garder
(...)
Dimanche soir, 16 novembre à 180 milles de Richard's Bay, je rédige dans le carré ce journal de voyage. Notre vitesse est à nouveau tombée en dessous de six nœuds : nous n'arriverons pas de jour, demain soir
(...)
La côte d'Afrique apparaît, disparaît, réapparaît définitivement. Le vent tourne un peu à droite. La mer se calme un peu. Je remonte sur le pont : on pourrait renvoyer un foc ; on termine au moteur
Richard's Bay, OUF !!
24 novembre 1997 - René Bernard