Extraits du journal de voyage rédigé par René Bernard, équipier de Saranaïa II

2. De Lisbonne à Panama

Étape Lisbonne-Funchal

Le 7 JANVIER à sept heures du matin l'éolienne tombe, pas sur le pont mais sur le portique. En la rattrapant, Yves est blessé par une pale. Entaille assez profonde intermétacarpophalangienne à la main gauche : on fait rapidement un pansement compressif et anti-infectieux. Le lendemain, Roger émerge du mal de mer et examine la blessure : Yves est tout pâle. Finalement le toubib trouve à l'intérieur un petit morceau de tissu qui provient du gant d'Yves. On stabilise le bateau et devant l'équipage médusé Roger déploie un champ stérile, procède à une anesthésie locale, extrait le corps étranger, et referme la plaie par deux points de suture. Chaque geste est précis et commenté. Chacun reste admiratif et dubitatif. Comment ferons-nous si Roger n'est pas à bord ?

LA TRANSAT
Pour cette étape, l'équipage est composé de Jean Berthelot, Roman Berthelot le fils de Jean, Denis le gendre de Jean, Yves Jacob, Pierre Voisin et René Bernard. Denis est cuisinier et plongeur de surcroît. Nous allons vivre dix-huit jours ensemble, entre Canaries et Antilles, entre ciel et mer. Nous allons partager les bons moments et les autres au rythme des quarts. Je fais équipe avec Roman, Jean avec Denis, Yves et Pierre constituent la troisième équipe. Nous nous relayons jour et nuit, toutes les trois heures : trois heures de quart, six heures pour soi. Ainsi chaque jour il y a un décalage de trois heures. De plus, chacun à bord a sa spécificité. Jean, le commandant de bord, supervise tout et s'occupe de la marche générale du navire. Pierre s'occupe de la radio. Yves, habitué de la régate, peaufine les réglages. Pour cette étape, je partage la responsabilité de la cuisine avec Denis. Roman, moniteur de surf dans la vie, et musicien, peut plonger comme Denis. Ils sont inséparables et adorables, et contribuent à créer une excellente ambiance à bord. On est six, mais comme le bateau navigue jour et nuit pendant dix-huit jours, on est rarement tous ensemble. On se croise. Certains vont prendre le quart, d'autres vont dormir, d'autres lisent ou écrivent. Les repas nous rassemblent le plus souvent : si le temps est maniable, on confie la barre au pilote automatique. Tout l'équipage est solidaire, chacun dépend des autres

ESCALE À SAINT-LUCIA (West Indies = Petites Antilles)

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MARDI on fait le "Carnival" à Castries, la capitale. C'est une immense fête populaire, tonitruante et joyeuse. Pas de chars magnifiques : les camions, parfois des semi-remorques, sont chargés d'orchestres et de baffles énormes qui ne passent pas sous les câbles électriques qui traversent les rues. Il faut que des hommes les soulèvent autant que nécessaire. Dans certains groupes, le rhum et la bière, et le Coca-Cola aussi, coulent à flot. Avec Pierre, nous prenons du son, nous interviewons des spectateurs, des participants et même Radio Saint-Lucia et une radio martiniquaise. Fantastique. Un bain de foule au delà de l'aspect touristique : cette fête, les saint-luciens la font d'abord pour eux-mêmes

MERCREDI Pierre et moi participons à une excursion en taxi avec tout l'équipage de Rio. Saint-Lucia par la route, et quelle route ! Un revêtement généralement bon, mais des montées et des descentes à plus de 15%. On va jusqu'au volcan Soufrière et ses émissions de souffre et d'eau sulfureuse. Le chauffeur de taxi a son itinéraire et ses haltes prévues (points de vue et... marchands de souvenirs). Nous arriverons à faire modifier les haltes, par exemple pour s'arrêter dans un village de pêcheurs pittoresque, mais pas l'itinéraire... On déjeune à Soufrière : cadre agréable, cuisine créole soignée, prix touristique ! On visite aussi à Coubaril une sorte d'écomusée installé dans un parc tropical très bien entretenu. J'apprends plein de choses sur le cacao, la canne à sucre, la noix de coco, le manioc. Les maisons d'esclaves sont moins convaincantes quoique pittoresques à cause de nombreux éléments anachroniques

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VENDREDI les courses pour dix jours : supermarché british et légumes tropicaux. On accueille Loïc ARTAULT à l'aéroport et Roger notre toubib qui revient jusqu'à Panama. Avant-hier Denis, Anne GERBERT et leurs filles sont repartis pour Saint-Malo. Nous serons encore six pour la mer des Antilles. Pot de départ et remise des prix à la marina, puis avec Jean et Tony, le chef de bord de WHITE SWANA, je retrouve à Gros-Islet pour la fête du vendredi soir. Tout le village est dans la rue : musique bien sûr et danses antillaises ou autres auxquelles les touristes s'essaient avec plus ou moins de bonheur, tandis que les jeunes saint-luciennes nous font rêver avec poulet créole, beignets, bière et rhum. Les habitants ont dressé des tréteaux et tiennent boutique dans la rue principale. Il paraît que cette coutume date de l'indépendance de l'île en 1979

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4è ÉTAPE : RODNEY-BAY (SAINT-LUCIA) - CRISTOBAL (PANAMA) : 1180 milles

Départ pour la traversée de la mer des Antilles samedi 15 février à midi

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Mercredi matin avalanche de poissons volants sur le pont : à midi il y en aura pour tout le monde. C'est pendant l'insouciance du déjeuner, alors qu'on a laissé Yves seul à la barre, que le vent commence à monter. Vers quinze heures, on prend le troisième ris et le ris du foc qui devient foc n°.1. Peu après, une première déferlante vient secouer Saranaïa II. Avertissement. Le vent qui variait entre 5 et 7 Beaufort depuis Sainte-Lucie monte à 8, 9... Vers minuit, Loïc est à la barre, on est à 10, 11. Je lui laisse la plume :
"Et soudain, LA vague. Elle est deux fois plus haute, énorme. Nous sommes au pied d'une colline en mouvement, j'ai du mal à croire que ça puisse exister. Une peur énorme comme rarement j'ai eu, le sentiment de risque vital. Pour la première fois le reste de la mer n'existe plus, il y a uniquement ce monstre qui avance vite, très vite. Le bateau dans l'axe, sans trop y croire, c'est le plus long surf. Je fonce en piqué avec pour seul horizon un mur d'eau de part et d'autre qui monte jusqu'à deux, trois mètres. La bôme, maintenue en place par sa retenue, fait exploser la gerbe à tribord. J'ai peur que le bateau enfourne et fasse la culbute, je n'ai aucune idée de la fin de la pente, je ne vois rien, ça glisse, le bruit est fou, ça gronde. Et elle nous laisse là, continue sa route vers l'ouest. Un sentiment de calme, c'était seulement la petite soeur.
Yves dort sous la capote de descente, je lui crie de faire attention : je le réveille ! Le bateau est un peu de biais, sans vitesse. Pour cause, il n'y a plus de vent : nous sommes simplement à l'abri sous le vent de la grande soeur ; celle-ci est en train de déferler. Elle nous cueille de trois quart arrière, couche le bateau sous le vent, mât dans la pente. La tête de mât fait un halo dans l'eau ! Je m'apprête à rejoindre la jupe arrière pour laisser le bateau faire son tour complet, son 360. Je suis en vrac dans le portique après avoir essayé de me cramponner à la barre. Mais le bateau se redresse contre la vague. Soulagement : Yves est encore là. Je tremble, je ris, pendant dix minutes, je n'arrive plus à me concentrer, c'est la deuxième peur ! A partir de ce moment, chaque grondement annonçant la suivante m'angoisse : surtout plus de grosse !"

À six heures moins dix énième déferlante. Cette fois, c'est pour moi. Je suis réveillé par une douche d'eau salée qui s'abat dans une couchette par la manche à air. Puisque toute ma couchette est pleine d'eau, je m'habille et sors sur le pont en même temps que Jean. Loïc me crie de m'attacher, tout de suite. Yves, qui a passé la nuit avec Loïc, va se reposer. Au bout d'un moment, Loïc me passe la barre. À mon tour de piloter notre quinze tonnes

René Bernard

[Suite]


Hyères→Lisbonne Lisbonne→Panama Panama→Marquises Marquises→Fidji Fidji→Australie Australie Australie→Bali Indonésie→Rénion SudAfrique

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