Lundi 4 août L'officier de quarantaine est un grand rouquin jovial. Il prélève dans ce que nous lui montrons les produits interdits d'entrée en Australie : fruits et légumes, oeufs, produits laitiers non australiens ou non néo-zélandais, conserves contenant du porc... La douanière met de nouveaux cachets sur nos passeports
Ça y est, nous pouvons quitter le quai de quarantaine et... aller prendre une douche. Cette après-midi ce sera notre première visite à Cairns ; Annick et moi attendons vainement le bus... dans le mauvais sens !... puis on essaie l'auto-stop et Andy s'arrête avec son camping-car jaune. Il nous emmène jusqu'à la banque du Commonwealth, puis en s'excusant presque il nous demande si nous sommes pressés. Il propose de nous faire voir Cairns et les environs : décidément, "we are lucky !". Cairns est une ville très étendue, sans grands immeubles, dont les limites se perdent dans la forêt et la mangrove alentour. L'agglomération compte 100 000 habitants. Nous montons sur une colline résidentielle pour jouir d'une vue générale depuis un lieu naguère planté de canne à sucre, puis comme nous avons parlé de la mangrove, Andy nous conduit dans le "Inland" où la mer pénètre profondément dans la terre. Mangrove et crocodiles, prononcez konokodaïle ! Explication de la multiplication de la mangrove dont les nouvelles plantes se forment sur l'arbre parent puis tombent dans l'eau qui les entraîne et les abandonne plus loin où elles s'enfoncent et s'enracinent
Nous retrouvons avec l'Australie un pays hautement développé. Les supermarchés nombreux regorgent de marchandises et les prix sont plutôt "cheap", en comparaison de ce nous connaissons depuis que nous avons quitté l'Équateur. Selon le mot de Uta, le chef de bord de Pagan, Cairns est une ville "crazy" avec des boutiques multiples pour prendre l'argent des touristes ! Les Australiens sont souriants, très accueillants, mais tout a un prix : par exemple, 8$ pour redresser les lunettes d'Annick (j'avais fait réparer les miennes gratuitement à Port Vila !) Le boating-club de Yorkey's Knob qui nous accueille est un établissement plutôt luxueux avec bar, restaurant, douches, laverie, téléphones. Eau et électricité à quai, c'est le confort. Réception par le Mayoral, le Maire, buffet de qualité et danses aborigènes. Briefing sur la croisière jusqu'à Darwin par les gens du boating-club, et beaucoup d'activités touristico-gastronomiques auxquelles nous ne participons pas
Cette escale voit revenir Danièle, puis Roger accompagné de sa fille Cécile : ainsi Saranaïa II se trouve complet à huit, ce qui est beaucoup. Cela rend plus difficiles les rangements, cela nécessite des provisions de bonne humeur. La cuisine pour tout ce monde sur le petit réchaud fatigué, avec la batterie du bord, cela demande davantage au cuisinier, mais bon. Et dire qu'on avait imaginé faire le tour complet à huit, alors que le bon nombre pour l'équipage est de six : nous l'avons vérifié dans les traversées d'océan. Ici il ne s'agit que d'une croisière côtière dans la grande barrière de corail...
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Le deuxième jour sera moins passionnant, excepté la visite du très pédagogique Maardja Broadwalk qui réexplique fort bien la mangrove et grâce auquel on peut comprendre aussi l'intérêt de la forêt tropicale australienne qui conserve des espèces végétales de l'âge des dinosaures. Un petit souvenir aussi pour Mount Malloy, étonnant village mélancolique de part et d'autre de la route très large à cet endroit. Boutiques "far west" où l'on vous soutient que le café soluble est aussi bon que le vrai café, et où plane le souvenir de James Mulligan, un immigrant-colon-chercheur d'or qui périt en 1907 des suites des blessures subies alors qu'il cherchait... à éteindre l'incendie de son hôtel...
Jeudi 14 août les courses avec Jean : cinq caddies grand modèle et on repart à 21h15, au moteur. À 2h du matin, quand je prends mon quart, on peut envoyer le génois. L'alizé ne faiblira pas et nous arrivons à Cooktown vendredi en début d'après-midi. Escale mythique qu'il faut négocier, Jean souhaitant s'en tenir aux mouillages préconisés par nos gentils organisateurs ! Bon mouillage, mais nous arrivons trop tard pour visiter le Janus Cook Museum qui ferme à 4h
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Vendredi au petit jour nous appareillons pour Lizard Island (...) Départ à 5h pour Flinder's Group, 83 milles d'une navigation très agréable. Les paysages marins du cap Melville sont étonnamment beaux. Cécile a réparé la ligne de traîne, avec les bas de ligne et les hameçons achetés à Cooktown... Tout à coup, ALERTE !... le moulinet siffle et déroule à toute allure. Je suis à l'intérieur lorsque j'entends la voix d'Annick qui m'appelle. Je relaie Cécile et entame le "combat" comme disait Loïc que j'ai bien regardé. Peu à peu je remonte la ligne, mètre par mètre : ça me semble interminable. Le poisson ne vient pas en surface, ce doit être un thon. Il m'épuise, le diable ! Roger me relaie un instant, mais il n'a pas le coup pour tirer sur la canne puis enrouler pendant qu'on relâche la tension. Je reprends et enfin le voici : je crois que c'est le plus gros thon que nous ayons pêché, et que ce sera le plus coriace à découper. Le couteau de cuisine n'en vient pas à bout facilement, le cuir et les os résistent... Celui-ci ne sera pas inscrit sur le livre de bord, Jean craint qu'il soit interdit de pêcher ici. Annick est triste à cause de la mort du thon et de ses yeux noirs : elle n'y goûtera pas, ni au poisson cru ni aux beignets de thon de Chouchou, ni même à ma soupe de poisson. Le reste de la bête va au congélateur. Pierre et Jean ont affalé les voiles et mis le moteur pendant le "combat". Deux heures de moteur jusqu'à Flinder's Group, alors que l'alizé de vingt noeuds est à 120° de la route. Moi aussi j'ai un peu de vague à l'âme alors que le soir tombe sur le mouillage. Nous débarquons sur une plage pour une grande récolte de coquillages, puis de retour au bateau nous ouvrons une bouteille de "green ginger wine", vieille "retrouvaille" faite dans la bottle shop de Smithfield d'un vieux souvenir de Guernesey lors d'une croisière "Galiote" aux Glénants. Voilà qui fera plaisir à Caryl de Radio Pluriel qui est très curieux des breuvages que nous pouvons découvrir de par le monde...
Lundi 18 août on appareille à 13h15. Ce matin, toute la flotte avait disparu à notre réveil, sauf Discovery que l'on voyait encore, et White Swan A, moins matinal que les autres. Nous partons sous grand-voile haute et foc inter T. D'ordinaire, quand le tangon est à poste nous ne pêchons pas car on ne peut pas arrêter le bateau, mais Roger qui ne connaît peut-être pas toutes les consignes du bord a mis la ligne à l'eau... Dddrrrrr !!....... Alerte !! Cette fois, Cécile s'y colle. Je me précipite à l'avant pour retirer le tangon. On réussit à mettre à la cap, un peu en vrac au moment où Cécile sort une belle truite de mer d'au moins 60cm. On l'amène sur le pont, puis Roger not' bon docteur veut laver le poisson sanguinolent : il le plonge dans la mer... et le lâche. Cécile déçue, Roger penaud, finie la pêche ! Navigation sans histoire dans le chenal de la Grande Barrière : on prend quand même le deuxième ris qu'on largue à une heure du matin
Mardi huit heures et demie du matin, on mouille dans l'anse de Portland Road au milieu des pêcheurs de crevettes. Chouchou, Annick et moi allons à leur rencontre et passons une commande pour demain matin à John de Balmoral (Cairns), un blond-rouquin barbu qui a la peau criblée de tâches de rousseur
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Donc Jeudi matin nous retournons voir John : crevettes fraîches, noix de pétoncle, cigales de mer, crabes aux couleurs chatoyantes. Personne n'a pris d'appareil photo ! Pour les fruits de mer on verra sur Saranaïa II tout à l'heure, mais pour le portrait de John... À midi, il y aura festin de crevettes-mayonnaise-riz ! En attendant on appareille avec à la radio les salutations toujours aussi amicales de Uta. L'objectif est d'arriver au petit matin près de Cape York, pour embouquer Albany Pass avant de pointer sur Wednesday Island. En effet, il n'y a pas seulement l'île "Jeudi", il y a comme cela Mardi, Mercredi et Vendredi, sans parler de l'île Dimanche située à quelques dizaines de milles dans le Sud, où nous nous arrêterons un moment ce soir... une nouvelle fois au milieu de pêcheurs de crevettes ! On repartira sous grand-voile seule, à cause des nombreux bateaux de pêche, ce qui contribuera à faire tanguer le bateau qui n'est pas tiré par une voile d'avant : mauvaise nuit au cours de laquelle personne ne dort
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Pour débarquer il faut utiliser l'annexe contre le vent et dans le courant, puis prendre le ferry
de l'île Horn à l'île Thursday
Rien ne va plus !... Le vent qui retourne
l'annexe et noie le moteur hors-bord dans l'eau salée ; l'annexe, dont l'aviron a été emporté dans
le chavirage, s'en va... une première fois avec moi, moteur en vrac, secouru par Bruno de Filo III... et une autre fois seule,
le noeud du bout s'étant mystérieusement défait.
Le temps de remettre de l'ordre dans tout ça, à peine le temps de se sécher un peu... et on finit par rater
le ferry et la visite guidée de Thursday Island. Roger nous racontera !
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Départ samedi 23 à 13h, mais le coeur n'y est pas : nous sommes de ceux qui se présentent un peu en retard sur la ligne. Le vent a beaucoup molli. La carène de Saranaïa II est très sale. Nous sommes en queue du peloton qui sort du détroit de Torrès, un détroit qui naguère était hanté par les pirates cannibales de Papouasie-Nouvelle Guinée et qui reste en tout cas très venté... Une escale sauvage, peu agréable, mais des paysages très beaux
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La journée de dimanche est encadrée par deux frayeurs. La première dès l'aube : un voilier qui vient sur notre tribord manœuvre au tout dernier moment pour passer derrière notre poupe. La seconde nous vient tard le soir, lorsqu'un cargo arrive droit sur nous : on l'évite au dernier moment par un virement de bord sauvage, voiles à contre, retenue de bôme non larguée. Cette fois-ci, on a eu chaud !... parce que ça aurait pu faire très mal. D'ailleurs certains dormiront mal cette nuit là, et il faudra "rebriefer" les équipiers de quart !
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Au petit matin du jeudi 28 nous voici dans Beagle Gulf
René Bernard