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DES MOTS POUR MA MAMAN, SURTOUT



Mariette

Un petit tas sous la couverture, c'est Mariette qui se cache...


Cuisses sur le ventre et genoux sous le menton, elle se ramasse tant qu'elle peut, à s'en faire mal. Mais elle ne souffre encore que des coups du dehors, coups de poing, coups de pied, que les plus grands s'amusent à la voir encaisser. Sa maman est partie, "tout là-bas très haut", son père la bat et ses frères aînés ne l'aiment pas non plus. Mariette le leur rend bien d'ailleurs, et lentement, elle empoisonne toute la maisonnée, en distillant son venin dans le brouet bi-quotidien qu'elle est chargée de préparer. Déjà ce matin le Toinou s'est trouvé mal et les autres furent bien en peine de le ranimer. Toinou, c'est le plus frêle, Mariette ne doute pas qu'il partira le premier. Ca vaut mieux pour lui, aussi bien ! Au moins les pires souffrances lui seront-elles épargnées. Les pires souffrances viendront avec le temps, lorsque la vengeance bien refroidie ira jusqu'à glacer le coeur de la fillette. Pour l'heure, elle n'en est encore qu'à se défendre, et c'est bien avec tristesse et résignation qu'elle accomplit son geste meurtrier.
Elle a neuf ans, Mariette.
Elle n'a jamais connu que la puanteur de la ferme mal tenue, où se mèlent des relents de sueur rance, des odeurs de poulailler, de fumier, de soue, et, la plus envahissante, celle de l'étable jamais nettoyée.
La ville est loin, seuls le père et son aîné s'y aventurent parfois, bien obligés ! Il y a le bourg plus près, avec l'école où il a bien fallu envoyer les garçons, de temps à autres. Mais pas question de ça pour Mariette : passées les limites de la propriété, elle n'existe pas.
Pourtant, cette nuit, la petite est persuadée qu'au delà de la grande barrière le chemin de terre se poursuit pour rejoindre un sentier de la forêt voisine, et derrière la forêt, pourquoi pas une route, une vraie !
C'est venu d'un seul coup, le besoin de se lever, la tentation d'aller y regarder de plus près...
Dans l'obscurité, elle passe ses guenilles par dessus son vêtement de nuit, une vieille chemise du père, enfile ses galoches, et attrape son bâton sans lequel elle ne serait plus fée.
Son regard félin transperce les ténèbres, et par sa seule volonté Mariette fit s'ouvrir les lourdes portes de bois rongé. Passant par la cuisine elle jeta un dernier sort aux ustensiles, pour qu'ils achèvent seuls désormais la funeste ouvrage commencée.
Elle traversa la cour en un éclair et eut tôt fait d'arriver aux barbelés qui clôturaient le pré. Elle n'hésita qu'un instant avant de se diriger droit sur un gros rocher, placé là on ne sait ni par qui, ni comment, et qui disparût sitôt que Mariette s'en fut servi comme tremplin pour mieux sauter par dessus les fils de fer. Il ne suffisait plus alors que de marcher, toujours droit devant.
C'est en pénétrant dans la forêt pour la Tant et si bien qu'elle finit par franchir, sans même s'en rendre compte, la frontière entre son rêve et la réalité... ou vice versa !
Elle ne savait plus vraiment si elle déambulait au beau milieu d'un champ de coton ou si elle nageait dans une mer de nuages. Peut-être bien qu'elle flottait au sein de l'écume du vague, mais là, le doute était plus certain puisqu'elle ne pouvait plus battre la semelle sur quoi que ce soit de matériel !
première fois de sa -déjà cinquième- vie, que Mariette se sentit enfin accueillie comme chez elle.
Parce qu'elle était quand même bien jeune et fluette, elle dut se reposer de sa course nocturne et se fit donc un lit de tapis de bruyère, mil fois plus confortable que son habituel grabat. Elle s'endormit paisiblement, bercée par le clapotis des sources alentour et le bruissement des feuilles agitées par le vent.
Ses rêves la transportèrent dans ces contrées inconnues qu'elle s'était juré de découvrir le jour venu...

Et le jour vint.

La chaleur d'un rayon de soleil, la fraîcheur d'une onde pure, et la saveur des fruits sauvages, la nature a de quoi assouvir toutes les faims d'un être simple.
Mariette s'en rassasia avant que de quitter à tout jamais cette forêt-ci, dangereusement trop proche de la maison familiale et haïe.
Depuis la lisière du bois elle suivit une allée cavalière qui la mena à la grande route tant espérée.
Elle regarda à gauche, puis à droite : des deux côtés le lointain lumineux l'invitait. Puisqu'il fallait choisir, elle opta pour sa dextre, et repartit d'un bon pas, qu'elle eut plaisir à entendre résonner sur la surface goudronnée.
Elle ne se lassait pas de s'écouter marcher -écourtant même les pauses nécessaires- pour que retentissent encore et encore ses pas sur la chaussée.

Des jours, des semaines passèrent, sans que Mariette eut seulement l'idée de s'étonner de ne rencontrer personne, de ne percevoir nul autre bruit que celui de ses souliers sur le bitume. Plus rien derrière -ses frères, son père, étaient-ils déjà morts qu'ils ne la poursuivaient pas ?!-, et rien non plus devant, que cette route nue qui s'échappait très loin et que même la ligne d'horizon n'impressionnait guère, semblait-il. Et comme, là aussi, la gauche et la droite se mêlaient, c'était bien de toutes parts que rien ne pouvait arrêter le regard.
Quelques collines étaient venues rehausser le paysage, mais chaque fois la fillette fut déçue d'avoir espéré en vain que la ville promise allait apparaître enfin derrière ces modestes reliefs. Elle montait la côte en se disant : "Au sommet, je vais les voir, les gens et leur maison, le clocher de l'église et les croix du cimetière...". Et puis non, en haut du raidillon c'était encore une étendue immense, une autre vaste plaine, un désert vert pâle qui s'étendait à l'infini...

Les semaines se firent des mois, et Mariette avançait, avançait...
Tant et si bien qu'elle finit par franchir, sans même s'en rendre compte, la frontière entre son rêve et la réalité... ou vice versa !
Elle ne savait plus vraiment si elle déambulait au beau milieu d'un champ de coton ou si elle nageait dans une mer de nuages. Peut-être bien qu'elle flottait au sein de l'écume du vague, mais là, le doute était plus certain puisqu'elle ne pouvait plus battre la semelle sur quoi que ce soit de matériel !

Allons bon ! Déjà qu'elle était partie poussée par on ne sait quoi, pour subsister seule et démunie, allez savoir comment !, voilà maintenant qu'on ne sait pas non plus où elle va échouer !!
Mais était-ce bien Mariette, ce petit tas sous la couverture ?
Ou n'était-ce pas plutôt son âme en peine, revenue pour souffrir encore un peu de n'être pas aimée ?!

maman en son chateauAprès tout, ça doit être dur d'être seule au point de n'avoir même plus quelque autre à détester...
... Plus que soi-même à aimer, des années et des années durant, et, une vie chassant l'autre, s'y voir condamnée à perpétuité

signé Mamamoi (alias b:b)