textes - nouvelles - sur bb on frite

DES MOTS POUR MA MAMAN, SURTOUT



Au-delà

"...quod redemptor mens vivit et novissimo... Et in carne mea videbo... meum..."

maman en son chateau Le noir.
Plus rien que du noir.
Les Ténèbres.
Et là-haut, cette voix lancinante, dont les échos ne me parviennent plus qu'étouffés, de plus en plus étouffés...
La voix s'éloigne... s'éloigne... s'éteint.
Nuit.
Silence.

Psitt !!


"Tiens, on m'appelle ?!"
- LEVE-TOI ET MARCHE !
"Aurais-je déjà entamé quelque racine à substance opiacée ?... J'hallucine déjà... devant moi, sortant de l'ombre : ma soeur ! Et qui plus est, ma sœur dans toute la splendeur d'un corps qu'elle n'a jamais... qu'elle ne PEUT PAS posséder !"
Encore une voix, c'est la sienne :
- Tu ne sens pas ton corps à toi, mais baisse les yeux et vois ! Ce que se préparent à manger les vers, ce n'est qu'une masse sanguinolante, d'où s'échappe déjà ton intime abstraction, ta seule réalité.
Lève-toi !, et ce qui subsiste du plus profond de toi-même viendra t'envelopper en épousant la forme de ton esprit, cette forme dont tu as toujours rêvé.
Marche !, et peu à peu les sensations reviendront : les jambes qui te portent, les bras qui se balancent... Tu te retourneras pour t'assurer qu'aucune peau morte ne te suit, il n'en faut pas ici !, et enfin tu reprendras le chemin qui finira par te mener jusqu'à moi.
- Tu en parles à ton aise ! On voit bien que ce n'est pas toi qui... Mais je parle, moi aussi !... et je t'ai entendue !... Maintenant, si seulement je me sentais un peu mieux, un peu plus, voulais-je dire...
- Mais si !... Attends, il faut t'imaginer, d'abord... : tu te lèves...
- Je me lève...
- Voilà ! Tu y es ! Marche, maintenant... imagine-toi en train de marcher !
- Je me sens ridicule !
- Tu vois bien, ça revient ! Qui a dit que le ridicule ne tue pas, elle -ou il- avait bien deviné que c'était ce qui renaissait en tout premier.
- Bon d'accord : je pense à présent que je marche... mais je ne suis pas sûre d'en être beaucoup plus avancée !
- Encore un peu.. encore... encore...
- Dis donc, ça commence à piquoter, là ! Oh, et puis partout maintenant !
- Qu'est-ce que je te disais !
- C'est comme si... c'est comme si...
- Oui, oui, on sait ! Allez, un coup d'oeil derrière...
- C'est d'un triste, cette chose toute ratatinée ! En tous les cas, je ne vois rien qui veuille me suivre !
- C'est parce que tu t'es suicidée. Donc tu ne t'aimais plus. Donc "tu" ne te suis pas.
- C'est d'une évidence ! mais c'était cqfd quand même, merci frangine !
- Dépêche-toi d'arriver, Maman t'attend.
- Encore !
- Dis, ça ne fait jamais que la deuxième fois !
- Ouh la la !! c'est où, vers toi ?
- Tu suis le Couloir... c'est le seul passage de toute façon. C'est un peu étroit, mais plus bas ça s'évase. Quand tu verra de la lumière, alors tu pourra tout voir... absolument tout...

Et devinez qui j'ai vu en premier... : ma mère !
Elle était là. Toute entière. Ses yeux, sa bouche, son nez, et ses mains, sa poitrine, son sexe, ses pieds... Tout, quoi !! Entière et entièrement nue. J'ai failli penser "nue comme un ver", mais ma soeur, qui avait lu ma réflexion avant même qu'icelle n'aie l'audace de s'exprimer !, ma soeur, disais-je, m'est apparue tout à coup pour m'interdire de songer, jamais, à ces invertébrés !!
J'ai donc corrigé en moi-même, et selon une formule consacrée : "Nue, blanche et pure comme l'agneau qui vient de naître". Mais là vraiment, l'image était osée, considérant que ma mère, telle que je la voyais, frisait quand même la cinquantaine...
J'aurais voulu qu'elle me parle aussi, et qu'elle me serre tout contre elle. Mais c'était comme si elle était là sans y être vraiment... comme quoi c'était bien Elle, présente "par défaut" tout en jouant l'éternelle absente.
J'ai demandé à Françoise, ma petite soeur retrouvée :
- Elle me voit au moins ?
- Oui, mais elle est... fatiguée. On reviendra plus tard. Je vais te faire visiter un peu, en attendant.

Un couloir, une pièce, un couloir, une pièce, un couloir...

- Mais c'est complètement vide ici ! Aucun meuble, ni tableau ni âme qui vive..
- Les âmes sont là pourtant, et il t'appartient de les faire revivre. A quoi pensais-tu en marchant ?
- A toi, je me posais des questions.
- Trouvais-tu les réponses ?
- Non.
- Je sais. Je voulais juste te faire dire que tes pensées n'aboutissaient à rien. Le rien et le vide ont la même image, et cette image, tu la projetais autour de toi. C'est pour ça que tu n'as rien vu en chemin, sinon moi qui occupais tout ton esprit.
- Tu veux dire qu'il me suffit de penser à quelqu'un pour le voir ?
- Pour le voir et qu'"il" ou "elle" te voit ; pour lui parler et pour l'entendre ; pour lui donner corps et âme, enfin. Tu peux essayer de faire apparaître une personne de ton choix, maintenant ; mais il faut bien sûr qu'elle soit passée par le Premier Couloir.
- Qu'elle soit morte, quoi !
- Hum... si tu préfères...
- mouais, euh... bof, en fait tu sais, à part maman je veux plus trop voir de gens. Sa maman à elle, j'aurais bien voulu la connaître, mais je préfère attendre que ça soit avec maman qu'on la fasse venir.
- Ah oui, Luce ! Tu la verras, et puis aussi toutes les mamans d'avant.
- Sinon, il y a une question qui me turlupine. Je peux la poser ?
- Même si je la connais déjà, vas-y, demande-moi.
- Je trouve ça un peu bizarre que je me sente ici comme ta petite soeur alors que normalement c'est moi la plus grande. Enfin, quand je dis plus grande, c'est à cause de ces 2 ans que j'avais déjà quand tu es venue passer une heure ou deux chez les vivants. Au physique on voit pas vraiment de différence, mais je sais pas pourquoi, je me sens toute petite auprès de toi. Moralement, si on peut dire.
- Il n'y a ni moral ni physique dans notre état. Il y a l'aspect, et il y a l'être. Je te rappelle que mon aspect, c'est toi qui le forme en m'évoquant. Quant à mon être, il ne dépend que de lui-même de se transformer. Depuis le temps que je hante ces lieux, je ne suis pas restée sans réfléchir, et c'est suffisant pour vieillir intérieurement. Pour mûrir, dit-on.
- En somme, tu es à la fois ma cadette et mon aînée, une âme plus adulte dans un corps plus "enfantin" !
- Bon allez viens, maintenant, je vais te faire voir des choses...

J'en ai vu, oui, bien des choses !
Tout d'abord, ce sont les couleurs qui m'ont sauté aux yeux. Jusque là, le vide n'était ni noir ni blanc, mais sans couleur non plus. Et tout à coup, elles étaient là : des taches et des plages de corail, d'indigo, d'émeraude ; des boutons d'or et des champs de violettes ; des roses pâles et de hauts flamboyants ; et encore des grappes de d'amarante et des guirlandes de chévrefeuille. Les couleurs... puis les fleurs, et la mer ensuite. Plaine infinie, onduleuse et moirée, silencieuse et attirante..
Passe un engoulevent.
Je le suis.
Il disparaît.
Il m'a menée à l'orée d'une forêt... Une dryade décennaire au pied d'un chêne séculaire, c'est Françoise qui m'attendait. Ai-je voyagé seule, était-elle à mes côtés ? Je la rejoins et ces questions s'effacent, inutiles. Ne reste que l'inquiétude de n'avoir personnifié aucune autre entité, faune et flore comptant pour paysage...
Françoise n'a plus besoin de me les dire, les explications s'inscrivent dans son regard... et désormais je les entends des yeux. Je lis :
"Je ne t'ai pas menti, tu pourrais faire sortir du néant toutes les âmes défuntes si tu y tenais absolument. Mais ton désir premier, le seul qui nous importe, ne sera jamais que de te bien connaître toi-même, dans un premier "temps", puis te connaître mieux, puis encore et toujours mieux... C'est une recherche qui n'aboutit jamais. Certains s'y mettent bien avant le Premier Couloir...
ce qui ne sert de rien : il n'y suffit même pas de toute l'Éternité !!"

Je regarde en moi, puis tout autour de moi : je ne vois que moi... dans un corps asexué, un corps de "presque-né". J'examine mon visage, et il est exactement comme avant, comme il y a longtemps, il boude encore.
Soudain je m'évapore en cette réflexion : "Mais alors, ELLES... Françoise et Maman ??"
Et ma soeur revient, et ma mère me sourit, je les confonds à présent.
Quelque part derrière leurs... derrière Ses paupières presque closes, il est écrit :
"Qui es-tu, que pourrais-tu être sinon le prolongement de celle qui t'a conçue !? Je ne suis en personne que l'incarnation de ton propre moi en devenir... Ta soeur ? Elle te ressemble, tu te projettes en elle. Moi-même lui ai donné juste assez de vie pour qu'elle nous précède ici, pour qu'en arrivant je retrouve un peu de ma substance et que, plus forte de cette union, je soie prête à t'accueillir. Ainsi, je suis dès à présent toute à toi... Il n'y a plus rien que toi, moi... éternellement."
DES SIÈCLES PLUS TARD...
"C'est fou !! Avec Maman, on est plein de gens, maintenant !! ...car d'autres sont venus m'habiter aussi : un vieil homme, une autre soeur, et encore une autre... et les frères, tous, un par un... et des amies et des amantes... Tous et toutes, ceux et celles que je croyais aimer quand je n'aimais que moi...

Je nous m'amusons bien, j'espère que vous aussi !!

signé Mamamoi (alias b:b)