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DES MOTS POUR MA MAMAN, SURTOUT



DUEL


CHAPITRE 9

La lumière tombe sur moi de front avec la pluie si fine et si cuisante. Les gouttes d'eau, les gouttes d'or, se sont aigries par leur effort à percer le feuillage. Si j'avais mes verres pour le corriger, le monde alentour serait moins troublé par mes visions intérieures. Mais alors je ne verrais plus en moi-même que des concepts corrompus par les formes à respecter. Quel est le plus étrange de ces deux univers : le premier qui se borne aux apparences et soumis aux normes françaises de mille sécurités, ou mon propre chaos qui s'organise au fur et à mesure que je m'analyse? De toute façon, étrange est un mot trop subjectif pour cerner un aussi vaste sujet. En outre il m'apparaît qu'en cet instant je n'ai rien à redire à mon environnement, c'est Dame Nature en personne! Ce fut vraiment une riche idée de planter notre décor dans une forêt, tout y pousse l'âme à vagabonder: elle grimpe au faîte des arbres ou s'enfonce dans les terriers, au ras du sol elle se roule dans la mousse et se baigne de rosée, et enfin il y a toujours une source cachée où celui qui la trouve puise la force nécessaire à pénétrer d'autres mystères. Je suis ici bien loin de mon duel, de ses causes obscures et ses effets secondaires! Je suis plus loin encore de cette société qui déjà n'admet plus les défis qu'en rien moins que des guerres. Je sais qu'il vaut mieux, toujours, dégager son issue avant que d'entamer une démarche. Mais c'est pleine de fureur que je me suis lancée dans une impasse, sans m'inquiéter de ce qu'il existât, ou pas, un au-delà de ce mur sur lequel je suis en passe, cette fois, de m'emboutir. Ma colère, tombée à quelques mètres du départ, a cédé la place à un désarroi grandissant qui a brisé mon élan. Et à l'arrivée, me voici qui ne sais plus quoi balbutier pour prolonger le trajet. En réalité, je n'aurais fait que piétiner, sur un si joli sentier, dans une forêt rêvée... Au lieu de perdre davantage de temps à me ressasser mes quatre vérités, je m'en vais réunir de ce dernier pas mes dernières volontés.. "Si on me condamne pour homicide volontaire, je laisse faire, je me tais. Parce que je sais bien où j'échouerais si j'usais pour ma défense de ces arguments si particuliers qu'ils ne parlent qu'à moi-même. Et je préfère l'aliénation pénitenciaire aux bons soins d'un internat psychiatrique où je serais doublement prisonnière! Au mieux, je vais être tuée. Une poussée d'optimisme m'incite à anticiper les heureuses conséquences de cette opportunité: - N'ayant pas rédigé de testament dans les règles de l'art, tout mon bien meuble passera à qui le prendra le premier. L'Etat, je pense. Je ne sais, je me demande, à quel point un enfant délaissé est en droit d'hériter (?) - Quant à mon cadavre, je les vois déjà l'enterrer: pas loin d'ici et le plus vite possible, pour comble de facilité! J'aimerais mieux être disséquée ou rendue à ma mère en son océan, mais ils n'auront jamais l'idée de rechercher les écrits où j'ai mentionné celles-ci de mes envies. - Que deviendront mes pauvres trésors, mes papiers, mes gribouillages et autres pattes de mouches? Sans moi ils retourneront à leur état premier, lettres mortes, sans intérêt... A jeter au panier, sans appel!" Donc, je n'ai pas grand chose à léguer. Et c'est tant mieux, ce peu est déjà si mal ordonné ! Bon voilà, je suis presque arrivée. Je vais changer de main pour tirer. A bien y penser, je suis sûre d'être gauchère au revolver... oui, tout cela me revient parfaitement, c'est de la main gauche que je chassais mes chimères, avec la carabine à plombs de mon grand frère! Et puis, si j'ai le temps, je... [ CRRRRRRRRACC !!! ]