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DES MOTS POUR MA MAMAN, SURTOUT



DUEL


CHAPITRE 5

Je tarde, mais le jour n'avance pas. Ce sont les minutes qui s'attardent sur chacun de mes pas, pour les allonger à ce point qu'il est à peine croyable que l'autre n'ait pas encore tiré. "L'autre", qui compte aussi. Et nul doute qu'il ne s'embarrasse pas à remettre en cause son importance ici-bas. Traîne-t-il le boulet de son passé, lui le plus âgé, le moins sage cependant? C'est un main que cet homme-là ! Il me fit parvenir son cartel juste comme j'allais le provoquer, et arrangea le duel de telle sorte que même l'Edit d'un Enième Louis ne pouvait l'empêcher! Il connaît mes scrupules et prévînt mes réticences en m'assurant que l'on pouvait se tuer en toute légitimité, si accord mutuel. Or donc je pris un destrier de nuit, et arrivai en ce pays comme le jour y dormait encore. Je n'eus aucune peine à le reconnaître, lui, lorsqu'il vint à ma rencontre. Il n'a guère changé. En quelque habit qu'il soit mis, il porte toute son élégance sur ses traits, et du plus loin qu'on l'aperçoit son corps effilé charme par ses attitudes. S'en approche-t-on qu'on lui parle en ne cherchant qu'à plaire à ce regard qui tout là-haut séduit. Maître de sa voix, le bougre joue à en moduler le timbre pour plus d'impression, ou moins c'est selon, et l'amplifie à l'occasion s'il se veut redoutable. Ne parlons pas de ses façons, oeillades, mots galants, petites attentions..., toute leur subtilité souffrirait de l'énumération. A l'âge où l'on s'émeut d'un rien je fus sensible à tout cela, succombai sous l'assaut de tant d'attraits, et je cédai à mon séducteur tout un empire sur mes sens troublés. Il s'ensuivit bien des plaisirs. Et cet enfant aussi, que je n'aurais conçu que pour n'en pas jouir. Puis l'entente s'est brisée, projetant ses éclats devenus meurtriers sur notre fragile attachement. Alors je laissai mon fils à son père et partai au-delà des océans... Il me semblait que tout le monde en fût content, jusqu'à ce que l'on me prie de reparaître, puis que l'on m'insulte puisque je rejetais toute forme d'apitoiement. Ces injures n'étaient pas graves en soi et je n'en avais que faire, mais très vite l'enjeu de nos débats houleux devint considérables. Pour m'intimider, du chantage, dont mon petit faisait les frais. Ensuite, d'autres menaces, et enfin ce défi lancé qu'aussitôt je relevai. Sombre histoire ! Certes. Et elle me ternirait par trop si, présageant quelque réquisitoire et pour appuyer ma défense, je ne me résignais à ressasser mes maux. Afin de disséquer l'offense... "De l'amour à la haine je ne suis passée que par des sincérités successives. Cela déjà me décharge de cette frivolité si souvent et si injustement imputée aux femmes insoumises. Que l'on me taxe d'inconséquence pour avoir enfanter sans pouvoir assumer, j'y réponds que c'est en toute connaissance que je causai la vie. Avec l'accord de l'ébauché, puisque son seul refus eût été abortif. Je l'ai aimé de loin, et ce n'est ni plus facile ni de moindre absolu. De fait, s'il venait à se plaindre, lui, ce ne serait que du fait de tous ceux qui critiquent notre façon d'être" Voilà ma plaidoirie pour ce qui concerne ma maternité outragée et ma vertue salie. Qu'elle serve au moins à justifier mes "errements" si l'on ne me fait pas la grâce de reconnaître ma droiture! Me permettrais-je d'aller plus loin, j'ajouterais que... Mais non, je dois presser le mouvement. Ma promenade, à pas comptés, est surveillée et aucun délai ne me sera accordé.