CHAPITRE 3
Un, deux, trois... je suis déjà au bois.
J'y cueille des sensations parfumées au muguet. C'est le petit matin, comme il se doit, et nous sommes en Mai.
Autour de moi la fougère frissonne et les arbres n'en finissent pas de s'élever, s'en plus rien avoir à soutenir que des nids désolés ou des âmes pendues. Les oiseaux se font rares, l'écureuil a disparu. Ce n'est pas l'hiver qui a fait fuir ces merles blancs. Non, c'est une bête qui chasse les autres, qui toujours pointe son fusil ou trop haut ou trop bas, pour exterminer tous ceux qui ne rient pas.
Qu'ai-je de commun avec les uns, avec les autres ?
Je songe... Si j'étais ailleurs... Si j'étais...
"Parfois on longeait la lisière de vastes forêts, et, invariablement, les mêmes essences, érables, aulnes et bouleaux, puis d'immenses sapinières qui frémissaient sous les rafales..."*
J'ajoute la neige qui étoufferait mes pas, et je me rêve en Bazarov, déjà je suis là-bas... J'en oublie ma révolte et les odeurs printanières, je ne sens plus que le froid et l'indifférence. Il me semble maintenant que mon combat n'a plus de sens.
Qu'attendent-ils, les Cosaques, pour surgir des fourrés et nous jouer le spectacle d'une guerre autrement plus sérieuse!?
Et qu'en est-il de mon duel à moi ?
Ici s'insinue le doute quant à la réalité de tout cela.
Mais l'heure n'est pas à la méditation, il me faut aller de l'avant. Quelques mètres de plus... au-delà, je ne sais pas si je penserai encore.
Je quitte donc les plaines du Caucase pour progresser sur cette humble terre de bruyère.
A pas lents. Si lents...
*"Un drame en Livonie" de Jules Verne